mercredi 21 mai 2014

Ma mère

Ma mère est née en 1935 au environ de Besbes ex Randon: un village colonial de cette riche plaine de Annaba en Algérie de  l'union d'un père  agriculteur venu de nul part  dès l'âge de la puberté après la disparition de son père et son refus d'accepter et voir sa mère se remarier. Cet enfant originaire de Ferdjioua une terre de montagnards, fiers et courageux vivant à l'ombre de cette rude chaîne des babors  peu nourricière ne pouvait accepter une situation pareille. Sa mère  est née à Iflissen au nord de Tizi Ouzou non loin de Tigzirt dans la grande Kabylie à l'ombre de ses majustueuses montagnes aux neiges éternelles de Lalla Khedidja dans le Djurdjura. Elle est venue à 12 ans rejoindre et assister -comme "bonne" à tout faire- ses frères célibataires venus travailler comme  ouvriers agricoles chez des propriètaires de la région de Annaba, dans un exil intérieur pour fuir la misère de ces contrées éternellement hostiles de Kabylie. A trois ans elle perdit sa mère, dont le seul souvenir qu'elle en garde se résume à des gémissements interminables à travers des espaces éphémères sans repères d'un taudis entouré d'arbres et de pierres comme ils en existaient partout dans ces plaines agricoles du début du 20eme siecles . Abondonné par sa mère de sitôt emportée par une malabie à 40 ans, elle est confiée tour à tour à plusieurs familles pour terminer son parcours d'enfant en errance à 8 ans chez sa soeur ainée qui a été mariée depuis. Entre temps elle perdit son père, mort d'une pleurésie, seul et abondonné loin des siens et de sa terre maternelle où il ne remis jamais les pieds. Ma mère se souvient surtout de son  frère ainé, un certain Labidi: malade mental avec un comportement d'autiste -  d'après les descriptions que l'on fait, et dont on ne retrouva jamais la trace suite à sa dernière fugue après la mort de son père; qui de son vivant le chercher sans relâche pour finir à le ramener à la maison. Elle en garde une image figée, d'un homme blond, très beau aux yeux bleus et d'une certaine corpulence. Elle disait qu'il doit ressemblait à son père... J'ai l'impression que dans son subconscient elle attends toujours son retour... Comme du temps où il rentrait avec son père après une collecte de bois...

Mariée à 18 ans en 1954 au début de la guerre d'Algérie elle est aussitôt abondonnée par mon père un an plus tard, parti en  France de peur d'être arrêté  comme élément subversif  appartenant à la mouvance nationaliste de l'époque: c'était un activiste politique qui serait certainement arrêté et risquais d'être assasiné. Mon Grand-père en fut victime quelques mois après, suite à une rafle mémorable dans notre village, où plus d'une centaine de villageois de tous âges seront arrêtés  après l'assassinat d'un colon et une dénonciation. Arrêté il ne rentrera jamais. On raconte qu'il sera humilié torturé par une horde de harkis sans âmes et à moitié débiles dans une ferme transformée en camps de torture à quelques kilométres de notre village. Frêle et affaibli par la soif et la faim, il rendit l'ame à 43 ans pour être enterré dans une fosse commune quelque part dans le néant de l'oubli et de l'indifférence. On le retrouvera jamais.
Après la mort de mon Grand- père, ma mère retourna chez sa soeur ainée avant de rejoindre mon père établi depuis peu à Marseille après une errance à travers la France. Il était peintre en batiment et responsable politico-militaire d'un secteur de la ville de Marseille.  Elle vivra 3 ans et demi dans une chambre d'Hotel miteux de la rue de l'arbre, pas loin de la canebière.  Agé de 5 ans  à l'époque, je fus atteint de tuberculose à cause de l'humidité et de l'enfermememt, j'ai du faire un sejour de 9 mois à Ucel en Corrèze dans un préventorium pour être guéri.
De retour en Algérie après l'indépendance. Mon père fut victime des excités et des  opportunistes du 19 Mars, appuyés par l'armée des frontières, il passera plusieurs années au chômage menacé et  sans ressources pour avoir critiqué et refusé le régime totalitaire de Benbella. J'avais 8 ans et je me souviendrais toute ma vie de ses  moments passés au cours de cette période: un dénuement total, vivant sans électricité ni eau et grâce à la générosité de notre grand mère qui nous avait hébergé et qui nous fournissait de quoi vivre quotidiennement au moment ou d'autres défoncaient les villas des colons et s'appropriait leurs biens. Mort à 55 ans, mon père Moudjahed authentique et fils de Chahid de surcroit n'a jamais été reconnu pour son militantisme  et son patriotisme pendant la période de la révolution et après. Il mourra plein d'amertume pour l'injustice dont il fut victime comme d'ailleurs beaucoup de  militants du même genre: fidéle à leur ideal de sacrifice et d'amour à leur patrie. Alors que d'autres qui étaient contonnés aux frontières, nourrit par les dons de divers organismes internationaux de charité  ou soldats ayant pris les armes le 19 Mars 1962, ont eu droit au titre de Moudjahid parce qu'ils faisait le nombre. Mon père a toujours refusé d'admettre que l'idéal n'existait pas et que l'on reconnait la valeur de quelqu'un, pas pour ce qu'il a fait mais pour ce qu'il vaut et se qu'il peux rapporté. Veuve, ma mère élévera ses enfants les marias et fut toujours là pour les soutenir a tout moment.
Aujourd'hui d'un certain âge, elle vit avec ma soeur dans un appartement que lui a laissé mon père avec comme seul revenu sa retraite de reversion.